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La vie est un labyrinthe
L’inspirante histoire d’une personne qui s’appuie sur la puissance de l’art dans son sinueux parcours vers une meilleure santé mentale
Imaginez-vous marcher dans un labyrinthe fait de murs en pierres transparentes où d’étonnantes expériences colorées vous attendent à chaque tournant. Parfois, le soleil brille et parfois, le ciel se couvre de nuages. Je ne suis pas seule dans le labyrinthe, évidemment. Je croise souvent des gens. Quelquefois, nous nous voyons à peine, alors que d’autres fois, nous faisons un bout de chemin ensemble. Il m’arrive même de recroiser ces personnes et de renouer contact avec elles. Souvent, je ne me joins pas à elles parce que je suis trop curieuse de voir ce que me réserve mon propre parcours.
Il y a des endroits pour se reposer et d’autres endroits où je passe beaucoup de temps. Les murs du labyrinthe ne sont pas si hauts, et quand je lève la tête, je peux voir d’autres personnes, des voisins, des amis, des membres de ma famille et des inconnus. Nous suivons tous notre propre parcours de vie.
Un jour, je me reposais dans un coin. J’ai fait un rêve où je voyais des peintures qui avaient beaucoup de turquoise et de doré. J’ai refait le même rêve et j’ai finalement commencé à rassembler de la peinture, des pinceaux et une toile. Depuis, je dessine avec des crayons marqueurs et de la peinture, et j’expérimente avec des collages, des matières mixtes et des arrière-plans texturés. Je fais cela depuis plusieurs années et encore aujourd’hui, le simple fait de coller des morceaux de papier et des fibres de différentes textures sur une toile pour ensuite peindre par-dessus est toujours amusant, même lorsque je ne me sens pas d’humeur créative. Généralement, il ne faut pas attendre d’être dans cet état d’esprit. Il suffit de se lancer pour voir où cela nous mènera.
J’ai découvert à quel point j’aime voir des formes dans la nature et les prendre en photo. J’utilise le coulage de peinture, une technique où il faut avant tout maîtriser l’art de mélanger la peinture avec différents ingrédients. On coule ensuite la peinture sur une toile pour créer de magnifiques bulles et tourbillons abstraits que l’on appelle des « cellules ». Cela peut paraître difficile, jusqu’à ce que l’on comprenne comment obtenir les meilleurs résultats. J’aime tout spécialement les coulages qui ressemblent à une nébuleuse ou à de la crème glacée. J’adore les couleurs vives, le doré et le noir. Certaines peintures qui entremêlent beaucoup de noir avec des touches fluorescentes me font penser à un ciel noir peuplé d’étoiles la nuit.
Les couleurs vives comme le rose et l’orange ont un effet bénéfique sur mon humeur. C’est comme si les couleurs me donnaient littéralement de l’énergie. Il y a de nombreuses années de cela, j’ai peint toute ma cuisine en rose vif, y compris le plafond. Même si le résultat était plutôt particulier, cela a ensoleillé ma journée et je n’ai jamais regretté de l’avoir fait. Nous devons simplement trouver des choses qui nous sortent de la grisaille du quotidien, qui nous amènent loin des paysages fades de l’hiver ou qui illuminent notre journée quand nous sommes dans l’abîme de la dépression. Certaines choses ont le pouvoir de nous redonner le moral en l’espace de quelques instants. Les gens, et tout particulièrement ceux qui vivent avec des problèmes de santé mentale comme l’anxiété, la dépression et pire encore, ont besoin de choses – et d’ondes – positives dans leur vie.
Créer une œuvre d’art, quelle que soit sa forme ou la raison pour laquelle on la crée, est tout simplement libérateur. Il n’y a ni règles ni juge. Personne ne vous dit quoi faire, cela vient de vous, de l’intérieur. Parfois, mon art reflète un souvenir ancré dans mon esprit, une image que j’ai vue quelque part ou une vidéo que j’ai regardée qui m’a profondément émue. On appelle cela de l’art impulsif, lorsqu’on peint en se laissant guider par nos désirs. Actuellement, le noir est très présent dans la grande majorité de mes œuvres. Comme si une vague de ténèbres déferlait en moi et que je devais la mettre sur toile sans attentes précises. C’est dans ces moments que je reprends contact avec moi-même et mes expériences. Comment tout cela se produit est un mystère pour moi. C’est comme comprendre une langue étrangère que je n’ai jamais apprise.
Je traîne toujours des stylos et des crayons marqueurs dans mon sac à dos sur mon parcours à travers le labyrinthe. Je me sentirais perdue sans eux. Je sais que l’art est là pour moi, et j’ai peint et dessiné dans des salles d’attente de médecins, dans le noir pendant un voyage en covoiturage vers Montréal (j’ai qualifié cela d’expérience de dessin à l’aveugle), dans l’autobus (seulement quand je ne tricotais pas) et dans des cafés. Les cafés sont mes endroits de prédilection. J’ai peint dans des centres de halte-accueil et des refuges. Je ne ressens tout simplement aucune gêne. Je me sens bien.
De nombreux artistes n’ont pas de formation officielle, mais nous apprenons « sur le tas ». Cela va plus loin que le simple principe de l’essai-erreur. Nous acquérons de l’expérience, nous apprenons à jouer avec les couleurs et les matières, les motifs, les formes et les visages, entre autres. C’est comme cela que les artistes arrivent à communiquer dans leurs spécialités respectives. Ils ont en commun l’expérience de la création libre qui provient de l’intérieur. De nos jours, grâce aux tutoriels vidéo, nous avons facilement accès à une multitude d’idées, de documentaires sur l’art, d’artistes et de techniques. Cela forge nos goûts et nous montre de nouvelles choses à essayer.
Certaines organisations offrent des cours d’art gratuits. C’est comme cela que j’ai trouvé un excellent professeur qui travaille avec des personnes ayant différentes habiletés. Les encouragements de la part de mes professeurs d’art, mes thérapeutes et mes travailleurs de soutien par les pairs ont vraiment changé ma vie, tout comme le groupe local d’artistes autochtones qui a créé le No Borders Art Festival. Depuis trois ans, ce petit groupe organise des expositions d’art et offre une chance à des artistes chevronnés, des artistes en milieu de carrière et des artistes débutants autochtones, noirs et de couleur ainsi qu’à des artistes de toutes les autres communautés aspirant à l’égalité. Les artistes forment une communauté d’individus profondément différents. Je suis ravie de faire partie de cette communauté Les gens qui n’ont pas de carrière sur le marché du travail ratent aussi beaucoup d’occasions d’avoir des interactions sociales.
Dans mon parcours personnel, que j’ai décrit dans la métaphore du labyrinthe, j’ai appris à être reconnaissante pour le soutien que j’ai reçu en tant qu’artiste et en tant que personne ayant des problèmes de santé mentale. Mes buts ne sont pas aussi importants que le fait de vivre le moment présent, même si j’ai des projets d’avenir. J’aimerais faire d’énormes coulages de peinture, qui sont plus difficiles à réaliser que les plus petits étant donné le poids de la peinture, la complexité du processus de séchage et l’importance de facteurs comme l’humidité et la température. Je vais l’essayer quand même. Je n’ai pas peur de l’échec. Si cela ne fonctionne pas, je peindrai par-dessus, je l’utiliserai comme arrière-plan ou je découperai joyeusement la toile en morceaux pour l’intégrer dans un projet de matières mixtes. Je ne jette quasiment rien. Je recycle en toiles des boîtes de carton qui contenaient de la nourriture ou des électroménagers. Plus le carton est ondulé, mieux c’est. Il sera transformé en quelque chose. D’ici là, je l’appelle une « expérimentation ».
Lisa S. est une artiste et une autrice qui vit à Ottawa. Elle est née en Autriche.